Historique de l'orgue de l'Église Saint-Martin de Rennes
Ancien orgue de la chapelle royale du château de Versailles
Reconstruit par Aristide Cavaillé-Coll, pour la chapelle royale du château de Versailles, il est inauguré en 1873 par Charles-Marie Widor et Camille Saint-Saëns.
Les établissements Gonzalez (1937) sont chargés par Norbert Dufourcq, alors Président de la commission nationale des orgues classés, de construire un orgue entièrement neuf pour la chapelle du Palais. En mettant en minorité au sein de la commission nationale des orgues C.M.Widor qui souhaitait simplement que l’on modifiât l’instrument Cavaillé-Coll, N.Dufourcq ne se doutait pas qu’il venait de faire deux grands heureux : le chanoine Inry titulaire des grandes orgues de la cathédrale de Rennes et le jeune abbé Yves Legrand (1910-2007) qui lui succédera plus tard à la tribune de St-Pierre de Rennes. En effet à la même période, les deux prêtres battaient le pavé parisien à la recherche d’un instrument destiné à la formation des élèves du séminaire de Châteaugiron en Ille-et-Vilaine.
Les bouleversements sociaux et démographiques allaient conduire à la fermeture du séminaire en 1973. Sur proposition de l’abbé Yves Legrand (le bienfaiteur de notre orgue), et en plein accord avec le curé de la paroisse, l’abbé Albert Garel, l’orgue devenu inutile à Châteaugiron, était installé en 1974 par Yves Sévère dans la tribune de l’église Saint-Martin de Rennes. Vingt ans après, en avril 1993, le curé de la paroisse, l’abbé Joseph Leroux, fortement sensibilisé par des experts venus de Paris prendre quelques mesures en vue de parfaire une reconstruction à l’identique de l’orgue Clicquot pour la chapelle du château de Versailles, décidait de mobiliser l’ensemble des forces vives de la paroisse pour une remise en état de l’instrument.
C’est que l’orgue était démonté dans un double objectif :
- redonner à l’instrument une nouvelle jeunesse après 25 ans d’installation mais surtout 60 ans sans travaux majeurs,
- réinstaller un jeu d’anche à la pédale qui en comptait 2 à l’origine de l’instrument Cavaillé-Coll.
Il avait été décidé entre le propriétaire de l’orgue (l’Association Diocésaine), la paroisse et l’Association de la chorale et des amis de l’orgue de Saint-Martin de Rennes que les travaux de restauration seraient confiés à Alain Léon pour la partie restauration et mécanique, et à Yves Sévère, pour la partie ajout de l’anche au pédalier. Il fut également décidé que le buffet ferait l’objet d’une décoration artistique afin de rendre l’ensemble plus éclatant. C’est Jean Claude Mareschal, artiste-peintre, qui fut retenu par l’association.
Le démontage de l’orgue allait nous apporter une grande récompense. Non seulement l’orgue comprend 51 tuyaux Clicquot du XVIIIe siècle, mais de plus, l’ensemble des sommiers portent la signature des trois Clicquot, Robert (1711), Louis-Alexandre (1736) et François-Henry (1763).
Jean Guillou inaugura magistralement la restauration de notre orgue en décembre 1999.
De nouvelles recherches sur la généalogie de l’ancien orgue de la Chapelle du Château de Versailles nous conduisaient à publier les calques reproduisant strictement l’agencement intérieur des sommiers anciens et ainsi d’approcher plus finement la composition d’origine de l’instrument de Robert Clicquot.
Avec ces révélations très récentes (avril 2011), il devint incontournable de présenter son histoire en la démarrant le 15 avril 1711 jour du « parfait paiement » à Robert Clicquot par le Roi Louis XIV, en contrepartie de la livraison définitive de l’orgue que le célèbre facteur d’orgue venait de construire à la demande du Roi pour la toute nouvelle chapelle du Palais de Versailles. François Couperin dit le Grand, organiste de la chapelle, pouvait s’en donner à cœur joie sur les claviers enchâssés dans le magnifique buffet Hardouin-Mansart et ainsi jouer pour la gloire de Dieu et sans doute un peu du Roi, ses messes pour le …… Il débutait ainsi une longue lignée d’organistes prestigieux qui ont fait vibrer tuyaux, sommiers et claviers de notre orgue : Dandrieu, Daquin, Mozart (le temps d’une tournée parisienne), Widor, Saint-Saëns, Fauré, Franck, Gounod, et plus récemment Monseigneur Legrand.
Quelques définitions
LE BUFFET
C’est toute la boiserie qui cache la mécanique et orne les tuyaux. Celui de notre orgue est resté à la chapelle royale de Versailles et est classé monument historique. Jusqu’à aujourd’hui, de simples panneaux de bois faisaient office de buffet. Nous avons décidé collectivement de le décorer et de faire appel à J-C. Mareschal, artiste-peintre.
LA CONSOLE
C’est le meuble qui accueille les claviers, le pédalier et l’ensemble des mécaniques permettant à l’organiste d’actionner les registres, tirasses et boîte expressive d’un orgue. La nôtre, de grande valeur historique, est signée Cavaillé-Coll. C’est en grande partie « grâce » à elle que nous devons d’avoir cet instrument en Ille-et-Vilaine.
LES SOMMIERS
Ce sont des pièces en bois rectangulaires qui ont pour fonction de recevoir l’air et de le redistribuer dans les tuyaux à partir de mécanismes tels que soupapes, registres, chapes… qu’ils enferment. Les nôtres sont particulièrement précieux puisqu’ils datent du XVIIIe siècle et ont été construits en bois de chêne par les Clicquot facteurs d’orgue du roi.
LA TUYAUTERIE
C’est l’ensemble des tuyaux qui donnent à l’instrument sa sonorité. Ces tuyaux se classent en différents jeux que l’organiste appelle à partir de la console en actionnant des registres. Le nôtre comporte 1 530 tuyaux répartis en 25 jeux. À chaque note correspond un tuyau d’un jeu donné. Certains des tuyaux de notre orgue sont historiques pour avoir été construits par les Clicquot au XVIIIe siècle ou Cavaillé-Coll au XlXe siècle.
LA FACTURE D’ORGUE
Cette expression recouvre l’ensemble des métiers auxquels la fabrication d’un orgue fait appel. L’artisan qui construit et restaure un orgue est dénommé facteur d’orgue. Vergettes, tirasses, registres, laye, soupapes ou bien encore gosiers, boursettes, abrégés, crapaudines sont quelques-uns des mots courants du vocabulaire de la facture d’orgue classique. L’orgue de Saint-Martin de Rennes capitalise trois siècles de facture d’orgue, du XVIIIe au XXe siècle et de grandes signatures : Clicquot, Cavaillé-Coll, Gonzalez, Sévère…
Composition du grand orgue de l'Église Saint-Martin de Rennes
- Orgue Robert Clicquot 1711 (Chapelle du château de Versailles)
- Cavaillé-Coll 1873 (Chapelle du château de Versailles)
- Gonzalez 1937
- Wolf 1960
- Sévère 1967
- Léon 1999
COMPOSITION ORGUE : 25 jeux sur 2 claviers de 54 notes et 1 pédalier de 30 notes
Grand-Orgue : |
Récit expressif : |
Pédale : |
Bourdon 16′ (Cl) | Principal 8′ (CC) | Soubasse 16′ (Cl-CC) |
Montre 8′ (Gz-CC) | Bourdon 8′ (CC) | Flûte 8′ (Cl-CC) |
Bourdon 8′ (Cl-CC) | Principal 4′ (Wo) | Flûte 4′ (Cl-CC) |
Flûte harmonique 8′ (CC) | Dulciane 4′ (CC) | Bombarde 16′ (Lé) |
Prestant 4′ (CC) | Nazard 2’2/3 (CC) | Trompette 8′ (Sé) |
Flûte douce de 4 (Cl-CC) | Quarte 2′ (Wo) | |
Doublette 2′ (Gz) | Tierce 1’3/5 (CC) | |
Plein Jeu V rgs (Gz) | Cymbale III rgs (Wo) | |
Cromorne 8′ (Sé) | Bombarde 16′ (Sé) | |
Trompette 8′ (Sé) | ||
Clairon 4′ (Sé) |
A gauche : Trémolo – Tirasses GO, Récit
|
Organistes actuels :
- Alain Gillouard, titulaire
- François-Xavier de Boudemange
- Hubert Gautrais
- Louis Guillard
- Charles Ropert
- Ronan Chouinard : invité permanent ; actuel titulaire de l’orgue de chœur de l’église Saint-Sulpice (Paris).
Génétique de l'orgue
Orgue Clicquot Robert (& Tribuot Julien), Louis-Alexandre, François-Henri, de la chapelle royale du château de Versailles : ce qu’il en reste aujourd’hui
• EMPLACEMENT :
Chapelle du château de Versailles: orgue Boisseau-Cattiaux livré en 1995.
Eglise Saint-Martin de Rennes – orgue Cavaillé-Coll installé en 1974.
Collection privée « quelque part dans le monde ».
• BUFFET :
Le buffet, classé Monument Historique est quasi-intact et trône toujours plus de 300 ans plus tard, à la tribune des musiciens de la chapelle du château de Versailles.
• CLAVIERS :
Le fond de la fenêtre des claviers qui permettait de cacher les mécaniques de transmission et vergettes d’appel des soupapes n’est plus là mais serait détenu par un collectionneur « quelque part dans le monde ». La dernière trace de sa subsistance remonte à 1919. Un panneau en trompe-l’œil a été installé dans l’attente d’un retour possible de l’original.
Seuls, deux claviers au châssis plaqué de bois de rose semé de fleurs de lys et cerné de filets d’ivoire sur lesquels Mozart a joué, demeurent. Ils ont été déposés et reposés aujourd’hui sur l’orgue du Dauphin, visible à ce jour dans une des salles du château.
• JEUX OU TUYAUX ENCORE INSTALLES :
– 4 rangs du plein jeu réinstallés sur l’orgue Boisseau-Cattiaux actuel de la chapelle,
– La doublette, qui attend dans un placard du château que des techniques de restauration plus performantes lui permettent de revivre,
– 51 très beaux tuyaux Clicquot en bois de chêne répartis sur la soubasse de 16, le bourdon de 8 et les flûtes de 8 et 4 ; ils chantent au XXIème siècle sur l’orgue de Saint-Martin de Rennes.
Le doute subsiste aujourd’hui de savoir si les anches Clicquot ont définitivement disparu, ou bien ont été fondues, ou bien encore ont été reposées sur tel instrument ancien dont on aurait cherché à retrouver les sonorités d’antan.
• SOMMIERS :
Le sommier GO/Positif à gravures alternées est devenu un sommier GO/Récit toujours à gravures alternées. En bois de chêne, il est en parfait fonctionnement à Saint-Martin de Rennes sur le Cavaillé-Coll.
Il mesure 1,624 m par 1,318 m. Les gravures sont profondes de 60 mm.
Côté C, le barrage est un barrage GO., côté #, c’est un barrage Positif.
Il y a 13 perces sur le barrage GO. Et 9 perces sur le barrage Positif. Les deux registres voisins du 3ième jeu du GO. ont été décalés, jeu qui ne commençait à l’origine qu’à l’ut 3.
La lecture des chapes met en évidence 25 trous par côté, soit des claviers de 50 notes.
Les sommiers des fonds de pédaliers Clicquot, réinstallés également sur le Cavaillé-Coll à Saint-Martin de Rennes présentent la particularité d’avoir côté do 17 gravures, côté # 16 gravures, soit 33 notes au total.
Quelques dizaines ou parfois centaines d’années plus tard, ce n’est pas sans émotion que nous partageons avec Couperin, Daquin, Dandrieu, Mozart, Widor, Franck, Saint-Saëns ou bien Fauré… le bonheur de faire chanter à Saint-Martin de Rennes, les sommiers et une petite centaine de tuyaux anciens de l’orgue Clicquot de la Chapelle du château de Versailles.
Le diapason 436
Hasard des dates, c’est aussi en 1711 que le diapason fut inventé par un certain John Shore, un luthiste anglais. Le diapason est une unité de mesure des sons. Il permet de donner un son de référence servant ensuite à l’accord des instruments. Avant qu’un consensus minimal ne se fasse sur la valeur à donner au diapason, une joyeuse anarchie sonore existait de sorte que les claviers d’un orgue pouvaient ne pas être accordés à la même hauteur de son. De même, c’est à cette époque qu’il n’était pas rare de trouver des claviers proposant un ré # et un mi b ; lorsque le clavier fut finalement définitivement établi à partir d’une octave comprenant, de do à si, 12 notes, l’on parla de clavier bien tempéré (expression qui apparaît au début du XVIIIe siècle). Le diapason officiel fixe le « La 3 » à 440 Hz (+/- 0,5). Le diapason ancien, celui de l’orgue du temps de Louis XIV, était fixé au « La 415 » ; celui de Mozart se situait au « La 422 », soit une hauteur plus compatible avec des voix ordinaires. Chanter Mozart avec le diapason actuel au « La 440 » est aujourd’hui chose plus difficile ! Celui de l’orgue de Saint-Martin se trouve être établi à 436 Hz, soit légèrement plus bas que la norme actuelle. Ce niveau correspondait à celui des arrêtés officiels du diapason français normal de 1859. La différence est surtout sensible pour les instrumentistes qui sont amenés à jouer avec l’orgue : l’accord de la flûte, de la clarinette ou du violon est plus difficile à réaliser !
Les facteurs d'orgue
Les facteurs d’orgues qui ont façonné à la chapelle de Versailles cet instrument :
Les Clicquot (18ième siècle) : Robert, Louis-Alexandre et François-Henri.
Les Clicquot, à l’instar de Bach pour la composition, vont réaliser la synthèse des petites et grandes inventions qui jalonnent l’histoire de l’orgue jusqu’à eux. « Pour traduire leurs grands jeux, leurs récits, leurs dialogues, les organistes ont besoin d’un instrument dont les possibilités et les qualités soient dans une large mesure équivalentes à ce que proposent J-B. Lully ou M-R. Delalande avec leurs orchestres de leurs sinfonies ». Les orgues Clicquot développent, en conséquence, une richesse sonore apte à satisfaire les organistes du Roi. Chaque clavier de l’orgue Clicquot a sa propre existence avec jeux de fond, pleins jeux et jeux de cornets ou d’anches. Les Clicquot maîtrisent parfaitement la technique des sommiers à registre qui assurent une rectitude dans l’arrivée et la coupure de l’air au niveau des tuyaux. L’intérieur de leurs orgues, avec leurs sommiers à gravure alternée, dans des espaces souvent réduits, ressemble à « un jardin à la française ». Nous disposons à Saint-Martin de l’exact empiètement des sommiers, donnée essentielle si l’on veut bien se souvenir de cette phrase du citoyen Bêche sauvant notre orgue lors de la révolution, disant à propos de l‘agencement intérieur de l’instrument de la chapelle (1795): « Ce bel ouvrage est à juste titre regardé comme un chef-d’œuvre, non seulement par la beauté de ses effets, mais encore relativement à la distribution intérieure, pour laquelle l’artiste a été extrêmement gêné, à cause du peu d’espace qu’il aurait à sa disposition ».
Cavaillé-Coll (1811-1899), le facteur d’orgue des sonorités romantiques.
Comme les Clicquot, les Cavaillé-Coll sont, d’abord et avant tout, une grande famille de facteurs d’orgue. La dynastie démarre au début du XVIIIème siècle avec Joseph Cavaillé (1700-1767), et se termine avec Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899). Aristide Cavaillé-Coll, originaire de Montpellier, s’installe à partir de 1833 à Paris pour y construire les plus grands instruments romantiques de la capitale. A la différence des Clicquot, A.Cavaillé-Coll va enrichir la facture d’orgues de process et de sonorités tout à fait inédites au XIXe siècle. Il invente l’utilisation de pressions différentes d’air entre les claviers, entre les jeux. Il développe et généralise l’utilisation de la boite expressive (qui permet de moduler l’intensité sonore de tel ou tel clavier) et de la machine Barker, du nom de son inventeur (qui permet un toucher beaucoup plus souple et facile des notes du clavier). C’est surtout l’enrichissement de la palette sonore qui distingue les orgues de Cavaillé-Coll : apparition de tuyaux de 32 pieds ouverts (soit une hauteur de 32 fois 32,32 cm !), introduction des jeux harmoniques de flûtes et anches.
Beethoven (1770-1827) avait définitivement balisé le paysage musical du XIXe siècle. Marqué par ce courant musical, Cavaillé-Coll s’appliquera à mettre à la disposition des organistes compositeurs, des instruments susceptibles de restituer l’atmosphère sonore symphonique et romantique dont l’époque s’enivrait. C’est ainsi que les Franck (1822-1890), Widor (1845-1937) ou Vierne (1870-1937) purent tout à loisir composer des pièces d’orgue qui tranchaient avec le 18ième siècle par leur richesse et puissance sonores aussi bien que par leur style moins normé en apparence et plus libre. C’est aussi à cette époque que l’instrument-orgue se détache de sa fonction liturgique qu’il avait adopté au début du deuxième millénaire, pour devenir un objet de musique en soi. On doit à Cavaillé-Coll les grandes orgues de Notre Dame, de Saint-Sulpice ou bien encore de La Madeleine à Paris, mais aussi ceux de Saint-Denis, Rouen ou plus près en Ille-et-Vilaine celui de Saint-Servan, soit au total plus de 500 instruments. L’orgue de Saint-Martin de Rennes, signé Cavaillé-Coll, n’appartient pas, on l’aura compris compte-tenu de son parcours historique, à l’école romantique historique. Néanmoins, il comprend, du célèbre facteur, 500 tuyaux (sur les 1500 que compte aujourd’hui l’orgue de Saint-Martin de Rennes), dont la très belle flûte harmonique, la console par laquelle l’instrument est arrivé en Ille-et-Vilaine, l’armature générale de l’orgue qui comme tous les orgues Cavaillé-Coll est solide et faite pour durer des siècles, la boite expressive qui renferme les jeux du clavier de récit et les jeux d’anches à la pédale.
Cavaillé-Coll meurt en 1899, et avec lui sans doute, beaucoup du romantisme de la facture d’orgue du XIXe siècle. Cent ans plus tard, presque jour pour jour (il est décédé le 13 octobre 1899), nous lui dédions la restauration de l’un de ses orgues.
Les organistes célèbres
La galerie de portraits des plus célèbres organistes qui ont fait l’histoire de cet instrument :
François Couperin (1668-1733)
Le premier des organistes à « inaugurer » le Clicquot de la chapelle en ce début du XVIIIème siècle est François Couperin dit le Grand. Pourquoi le Grand ? Sans doute pour avoir été le musicien attitré du roi Louis XIV et l’avoir diverti avec ses concerts royaux, sans doute aussi parce que reconnu à son époque comme l’un des virtuoses du clavecin. Issu d’une illustre famille de musiciens, les Couperin tiendront les Grandes Orgues de saint-Gervais à Paris pendant deux siècles, le dernier représentant de la famille, Gervais-François (1759-1826) ouvrant la voie au début du XIXème siècle à la période romantique ! Comme Bach, François Couperin est encore très jeune lorsque son père meurt (il n’a que 11 ans) et comme Bach, c’est la famille qui prend le relais du père pour la formation du jeune musicien. Il a composé pour l’orgue deux messes qui sont pour l’organiste liturgique des plus précieuses lorsqu’il s’agit de jouer un court morceau d’entrée, d’offertoire ou bien de communion. Son sens de la mélodie est particulièrement remarquable dans ces pièces pour jeu-solo de tierce en taille ou de cromorne. L’autre très grand organiste de la chapelle à cette époque n’est autre que Louis Marchand (1669-1732) dit aussi « le Grand ». Marchand et Couperin se disputaient la première place, même s’il faut bien reconnaître la supériorité du jeu du premier. Buterne et Garnier assuraient les deux autres « quartiers » de l’année.
Louis-Claude Daquin (1694-1772)
Louis-Claude Daquin fut organiste en titre de l’orgue de la chapelle en 1739. L’ont précédé : Landrin, Daguincourt en 1714 (1684-1758), Dandrieu en 1721 (1682-1738), Calvière en 1738 (1695-1755). Dandrieu comme Daquin ont notamment composé spécialement pour l’orgue du Palais de Versailles de très beaux Noëls pour les offices religieux. On ne connaît de Daquin qu’un livre de clavecin et le livre de Noëls pour l’orgue. Assez cependant pour lui assurer une notoriété populaire toujours très vivace. Armand Louis Couperin puis Nicolas Séjan (1745-1819) furent les derniers organistes de la chapelle de ce XVIIIème siècle.
Charles-Marie Widor (1845-1937)
Il faut attendre la deuxième moitié du XIXème siècle pour retrouver une lignée d’organistes célèbres à la chapelle. L’histoire de France ayant imposé une parenthèse de quasi silence à la chapelle de Versailles. Citons néanmoins François Benoist (1794-1878) qui assura la tribune de l’orgue de la chapelle. Charles-Marie Widor (1845-1937), l’organiste-expert des travaux de Cavaillé-Coll sur l’orgue de la chapelle de Versailles, est moins connu du grand public que Franck ou bien Saint-Saëns. Pourtant, bon nombre de futurs époux ont entendu, en entrant dans l’église, sa célèbre toccata, qui fait partie des dix pièces d’orgue de ce style les plus jouées au monde. Du reste, depuis quelques années, les élèves d’orgue de conservatoire redécouvrent cet organiste-compositeur qui nous a laissé dix symphonies pour orgue, genre qu’il a particulièrement développé pour cet instrument. Homme solennel et très simple, secrétaire perpétuel de l’Institut, Widor se lançait très souvent au cours de ses heures de cours, devant ses élèves, dans des développements historiques ou philosophiques. Le père Legrand, à l’époque jeune militaire, se souvient du petit salon derrière l’orgue de Saint-Sulpice, où Widor, le Maître, se laissait volontiers guider par le cérémonial que n’auraient pas renié les organistes du roi. Un “ valet ” de clavier, serviteur de l’église, lui chaussait ses souliers de pédalier, ouvrait la console, enlevait les protèges-claviers. Le Maître pouvait alors s’exécuter… La scène se passe en 1933.
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Le deuxième musicien célèbre qui, avec Widor, avait participé à l’inauguration de l’orgue de la chapelle du Palais en 1873, est Camille Saint-Saëns (1835-1921). Son œuvre musicale est peu connue et pourtant richement dotée de pièces orchestrales, de piano et d’orgue. Citons également dans l’environnement musical de Franck, Widor et Saint-Saëns, Gabriel Fauré (1845-1924), qui a notamment été titulaire de l’orgue de l’église Saint-Sauveur de Rennes. Lui aussi a joué sur l’orgue Cavaillé-Coll de la chapelle. Elève de Saint-Saëns, il a marqué l’espace musical de cette époque par son œuvre pour piano, ses partitions vocales et sa musique religieuse au premier rang de laquelle il faut citer son fameux requiem qui, avec celui de Maurice Durufflé (1902-1986), constitue les pages parmi les plus accomplies pour la messe des morts, écrites depuis Mozart. Enfin, comment passer sous silence les Alexandre Guilmant (1837-1911), Eugène Gigout (1844-1925), Louis Vierne (1870-1937) ou bien Charles Tournemire (1870-1939), qui forment la richesse de l’école d’orgue française de cette époque, celle qui donnera un nouvel élan à la musique religieuse.
César Franck (1822-1890)
Le plus illustre des compositeurs-organistes à avoir joué sur l’instrument de Saint-Martin est César Franck (1822-1890). Si ce compositeur a beaucoup écrit, dans la première partie de sa vie, pour le piano et les ensembles d’orchestre de chambre (pour le plus grand plaisir de Liszt qui le jouait beaucoup), il s’est révélé, dans sa création musicale pour orgue, comme particulièrement novateur, et ceci n’a été rendu possible que par le génie du facteur d’orgue Cavaillé-Coll. Tout aussi profondément religieux que Bach, C. Franck va s’employer à réécrire de la musique d’église “ pour la plus grande gloire de Dieu ” et pour l’invitation à la prière des fidèles, en faisant oublier la musique pompeuse, inutilement chargée de sentimentalisme et de vague à l’âme, que les romantiques du début du XIXe siècle avaient cru de bon goût d’introduire dans l’art musical religieux. Il a composé, en volume, un nombre limité de pièces pour orgue; mais n’aurait-il composé que ses célèbres chorals, prières ou bien encore son prélude-fugue et variation (dédié à son ami Saint-Saëns) qu’il aurait mérité cependant d’être sur le livre d’orgue de la musique religieuse de ces trois derniers siècles. César Franck est venu régulièrement chaque année, entre 1874 et 1886, tenir l’orgue de la chapelle dans le cadre de concerts appelés “ Salut en musique ”, le plus souvent organisés pour des œuvres charitables.
Monseigneur Yves Legrand (1910-2007)
Prêtre avant tout, organiste titulaire des grandes orgues de la cathédrale de Rennes dès 1953, il est fait chanoine et prélat de sa Sainteté en 1968. Désintéressé, du plus doué au plus humble, l’abbé Yves Legrand a formé des centaines d’élèves aux techniques d’orgue. Il a contribué très largement à créer et à développer l’ANFOL, l’association nationale de formation des organistes liturgiques. Certains de ses élèves sont aujourd’hui des organistes-concertistes célèbres. Beaucoup grâce à lui, tiennent l’orgue régulièrement avec talent dans les paroisses d’Ille et Vilaine et de Bretagne. Pour cet homme dont la vocation première était d’être prêtre de banlieue ouvrière, l’essentiel consistait à démocratiser l’orgue et la musique en permettant à beaucoup d’élèves d’y être formés et bien formés. C’est ainsi que sont nés les premiers stages d’orgue en Ille et Vilaine. En dotant les communes et les paroisses de très belles orgues, il a hissé l’Ille et Vilaine au troisième rang après Paris et l’Alsace pour le patrimoine organistique. L’abbé Legrand a été quatre ans titulaire de notre instrument lorsqu’il était au petit séminaire de Châteaugiron. Par deux fois, en 1936 avec le chanoine Inry, puis en 1974 avec l’abbé Garel, il prend en main la destinée de « l’instrument royal ». En 2003, il nous faisait l’amitié d’enregistrer avec la chorale « Saint-Martin des Chants » et les organistes de notre église, un très beau CD de pièces de musique qui permettent de remonter le temps de l’histoire de l’orgue. Il a notamment improvisé pour nous, sur des thèmes de Noël, des pages d’orgue magnifiques.
Les sommiers du Roy sont à Rennes
Trois natures de faits et arguments sont à notre disposition pour tenter d’appréhender le parcours historique de l’orgue de la chapelle du Château de Versailles:
- les archives relatant les travaux sur l’instrument et les manifestations musicales qu’il a engendrés;
- l’expertise des facteurs d’orgue et spécialistes en musicologie qui se sont appliqués à reconstituer l’ADN de cet instrument;
- le matériau ancien existant encore à ce jour, à Versailles et… à Rennes.
En effet, l’histoire de l’orgue de l’église Saint-Martin de Rennes (Paroisse Jean XXIII – Ille et Vilaine) a des origines « royales »; elle est jalonnée des principales dates suivantes :
Chapelle du Château de Versailles (Paris)
1711 : livraison du nouvel orgue de la cinquième chapelle du Château de Versailles par les facteurs d’orgue Robert Clicquot et Julien Tribuot ;
1736 : travaux sur l’orgue par le facteur d’orgue Louis-Alexandre Clicquot ;
1762 : relevage de l’orgue par le facteur d’orgue François-Henri Clicquot ;
1817 : travaux sur l’orgue par les facteurs d’orgue Dallery père et fils ;
1873 : reconstruction de l’orgue par le facteur d’orgue Aristide Cavaillé-Coll ;
Chapelle du séminaire de Châteaugiron (Ille & Vilaine 35/Bretagne)
1937 : installation de l’orgue de la chapelle royale du château de Versailles au petit séminaire de Châteaugiron par le facteur d’orgue Victor Gonzales sur proposition du Chanoine Inry et de l’abbé Yves Legrand.
1966 : travaux de relevage de l’orgue par les facteurs d’orgue Wolf, Chéron, Sévère ;
Eglise Saint-Martin de Rennes – paroisse Jean XXIII (Ille et Vilaine, Bretagne).
1974 : installation de l’orgue dans la tribune de l’église Saint-Martin de Rennes par le facteur d’orgue Yves Sévère grâce à l’initiative bienveillante de l’abbé Yves Legrand.
1999 : relevage de l’instrument par le facteur d’orgue Alain Léon et découverte de sommiers et tuyaux anciens ;
2011 : tricentenaire de l’ancien instrument de la chapelle du château de Versailles.
2014 : le 1er janvier 2014, nous avons eu une pensée émue pour Mozart qui, il y avait exactement 250 ans, le 1er janvier 1764, jouait pour le Roi Louis XV, sa famille et la cour, sur l’orgue de la chapelle de Versailles tout nouvellement restauré par F.H.Clicquot. Ce 1er janvier 1764, il joue un instrument en parfait état: quatre mois plus tôt, les organistes Daquin, Paulin, Foucquet et Marchand avaient effectué avec grande satisfaction la réception des travaux de relevage de l’orgue réalisés par François-Henri Clicquot.
Il a fait chanter nos sommiers de l’orgue de Saint-Martin, ceux précisément de l’orgue Clicquot de Versailles, et une cinquantaine des très beaux tuyaux de bois de chêne Clicquot répartis sur la soubasse de 16, le bourdon de 8 et les flûtes de 8 et 4. Nous pouvons afficher l’exact dimensionnement de ces sommiers, information essentielle si l’on veut bien se souvenir que de nombreux experts ont pu s’étonner de constater l’étroitesse des lieux pour y loger autant de jeux et de tuyaux d’orgue. Preuve du savoir-faire de la facture d’orgue des Clicquot. Nous pouvons affirmer que l’orgue de la chapelle comprenait des sommiers GO/Positif et pédalier à gravures alternées (pas de Positif de dos) et de ce fait, confirmer que les claviers étaient bel et bien encastrés dans le buffet. Du reste, nous possédons les mesures de l’encastrement à partir des marques repérées par Alain Léon, et donc du positionnement des soupapes actionnées par une mécanique à clavier axé en queue. Nous avons mis en évidence que le pédalier du Clicquot d’origine possédait 33 notes, et ses claviers 50 notes.
Nous avons démontré que l’instrument de l’église Saint-Martin de Rennes qui porte la signature Cavaillé-Coll avait conservé les sommiers anciens Positif/GO d’un seul tenant à gravures alternées (50 gravures/13 perces au GO/9 perces au Positif et fonds de pédalier des Clicquot XVIIIème siècle/33 gravures et 3 perces) ainsi qu’une petite centaine de tuyaux anciens dont 51 tuyaux de bois de chêne des Clicquot XVIIIème. Nous avons contribué par nos recherches à mieux approcher la composition exacte de l’instrument de la chapelle du château de Versailles tout au long de ses transformations au cours du XVIIIème siècle.
Bibliographie
[1] Alain Gillouard : « De la chapelle royale du Palais de Versailles à l’église Saint-Martin de Rennes : itinéraire d’un orgue célèbre » N°24/25 octobre/décembre 1998 « L’orgue francophone »; revue de l’orgue francophone, FFAO pages 32 à 53.
[2] Alain Gillouard : « Grande et petite histoire de l’orgue de Saint-Martin de Rennes »; 69 pages, octobre 1999.
[3] Alain Léon : notes manuscrites et plans détaillés des sommiers ; relevage de l’orgue de l’église Saint-Martin de Rennes ; archives de la paroisse Jean XXIII – Rennes ; 1999.
[4] Marina Tchebourkina : « L’orgue de la chapelle royale de Versailles (1710-2010) ; les progrès de la connaissance ou l’art difficile de l’humilité » ; in l’Orgue N°291 2010-III.
[5] V.Gonzalez : devis d’installation de l’orgue de la chapelle royale du Château de Versailles au petit séminaire de Châteaugiron ; Ille et Vilaine ; archives de la paroisse Jean XXIII; 1937.
[6] Norbert Dufourcq : « L’orgue de la chapelle de Versailles ; le passé, le présent, l’avenir » revue musicale 1934.
[7] Pierre Dumoulins : Orgues de l’Ile de France, tome 1 : inventaire des orgues des Yvelines et du Val d’Oise, Ariam – 1988.
[8] Norbert Dufourcq : « Autour des orgues versaillaises », documents recueillis par Roberte Machard/recherches tome VI, 1966.
[9] Eugène de Bricqueville : « L’orgue de la chapelle du Château » ; Versailles illustré ; 1898.
[10] Jean-Pierre Decavèle : « La reconstruction de l’orgue de la chapelle du Château de Versailles » ; Plaquette d’inauguration de l’orgue ; 1995.
[11] Marina Tchebourkina : « L’orgue de la chapelle royale de Versailles ; à la recherche d’une composition perdue » N°280 de la revue l’Orgue ; in l’Orgue n°280-2007-IV.
[12] O.Wolf : devis descriptif des travaux à exécuter dans l’orgue de la chapelle du petit séminaire de Châteaugiron. Archives de la paroisse Jean XXIII ; 1959.
[13] Alexandre Maral : « La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV: cérémonial, liturgie et musique » Mardaga ; 2010 ;
[14] Alexandre Maral : « La chapelle royale de Versailles « in l’objet d’art –hors série N°50-2010.
[15] Jean-Marc Baffert : « L’orgue de la chapelle du Château de Versailles : glanes et images; revue de l’orgue francophone ; FFAO ; n° 22/23- 1997.
[16] Bertrand Cattiaux : « La dynastie des Clicquot » N°6 Orgues Nouvelles, 2010.
[17] Alain Gillouard : « Jeune talent ; Wolfgang à Versailles » Orgues Nouvelles N°23 Hiver 2014.
En savoir plus
Orgue de la chapelle du Château de Versailles :
De Alain Gillouard : « De la chapelle royale du Palais de Versailles à l’église Saint-Martin de Rennes : itinéraire d’un orgue célèbre » N°24/25 octobre/décembre 1998 « l’orgue francophone » ; revue de l’orgue francophone ; FFAO pages 32 à 53.
- De Alain Gillouard : « Les sommiers du Roy sont à Rennes », avril 2011, FFAO 43
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Orgel der Schlosskapelle von Versailles – Wikipedia
La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV: cérémonial, liturgie et musique
Alexandre Maral – 2002 – Mardaga – 478 pages.